La question se posera dans trois mois, quand l’exclusion temporaire prévue par la loi fédérale arrivera à échéance. Un comité se penche actuellement sur la question à Ottawa. Sans présumer de ses conclusions, des médecins partout au pays se préparent à l’éventualité qu’on élargisse les critères d’admissibilité de l’AMM aux personnes souffrant de troubles mentaux.
Le gouvernement québécois ne s’est pas encore prononcé, mais il semble évident qu’un régime à deux vitesses créerait une situation insoutenable, tant pour le corps médical que pour les patients qui devraient se tourner vers les tribunaux pour faire valoir leurs droits.
La discussion délicate à propos de l’AMM et de la santé mentale a déjà commencé au Québec. Il y a un an, dans un rapport qui recommandait de rendre les demandes anticipées d’AMM accessibles aux personnes souffrant d’une maladie incurable, la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie choisissait de ne pas inclure les personnes souffrant de troubles de santé mentale. En l’absence de consensus, elle ne voulait pas trancher.
Depuis, la balle est dans le camp du ministre de la Santé. Nous pensons qu’il est temps de reprendre la discussion là où nos élus l’ont laissée l’an dernier.
Le Collège des médecins du Québec et l’Association des médecins psychiatres du Québec sont tous deux favorables à l’élargissement des critères. Des organismes de défense des droits des personnes atteintes de troubles de santé mentale aussi. Ils militent pour qu’on reconnaisse leur souffrance et qu’on cesse de les infantiliser.
D’autres patients affirment toutefois que le danger d’un mauvais diagnostic, plus difficile à poser en matière de santé mentale, peut conduire à des dérapages. Ceux et celles qui œuvrent à la prévention du suicide s’inquiètent quant à eux du message qu’un tel changement enverrait à la société.
À cause de la pandémie, tous ces précieux points de vue n’ont pas eu le retentissement qu’ils auraient dû avoir. Les Québécois avaient d’autres soucis.
D’où l’importance de poursuivre ce débat sur la place publique.
Il faut expliquer de quoi on parle quand on parle d’AMM pour les gens souffrant de problèmes de santé mentale.
Il est question de cas graves qui s’inscrivent dans la durée, sur plusieurs années ou décennies. Des cas résistants aux traitements et aux thérapies dont la souffrance n’est plus supportable et qui seraient évalués par un comité d’experts. Il n’est pas question de quelqu’un qui serait en crise suicidaire ou en dépression passagère.
Comment savoir si le désir de mourir est propre à la maladie ou à la volonté du patient ? Et comment déterminer le caractère irréversible d’un état ? Les zones grises sont nombreuses en santé mentale, c’est vrai. Mais des médecins nous assurent qu’il existe aussi des zones grises dans des cas de souffrance physique et on n’exclut pas l’AMM pour autant, alors pourquoi en faire un critère d’exclusion dans les cas de troubles de santé mentale ? Leur question est légitime.
Il est bien entendu impossible d’avoir cette discussion en faisant abstraction de l’état de notre système de santé.
On peut se demander comment on justifiera des ressources pour les soins de fin de vie en santé mentale quand elles sont si rares pour ceux et celles qui souhaitent aller mieux.
Même interrogation concernant la pénurie de ressources d’hébergement : au Canada, il y a un manque criant de ces ressources qui peuvent faire toute la différence pour les gens qui souffrent de troubles graves de santé mentale. Elles offrent une meilleure qualité de vie à ceux et celles qui se retrouvent trop souvent à la rue, dans des conditions absolument indignes.
On ne répétera donc jamais assez l’importance d’investir dans les soins et les services en santé mentale.
Mais on ne peut pas ignorer les personnes qui souffrent psychiquement et qui nous demandent de les traiter à égalité avec celles qui souffrent physiquement. Il faut reconnaître leur autonomie et éviter de les considérer avec paternalisme quand il est question d’aide médicale à mourir.
La nouvelle ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, Sonia Bélanger, vient d’hériter de ce dossier sensible. Nous lui soumettons une suggestion : la tenue sans tarder d’un forum national qui poursuivrait la discussion entamée par la Commission spéciale. On pourrait y entendre des médecins, des éthiciens et d’autres experts ainsi que des patients qui viendraient nous parler de leur réalité. Ce forum devrait s’accompagner d’une vaste consultation à l’échelle de la province pour prendre le pouls de la population.
Il faut traiter cette question avec une grande empathie. Oui, il faut être en phase avec la société québécoise. Mais pas aux dépens des droits fondamentaux des gens qui souffrent.