Ce nouveau report va créer de l’anxiété chez toutes les personnes qui avaient trouvé une certaine sérénité sachant qu’elles avaient une lumière au bout de leur assombrissement progressif : ce délai inutilement long vient de les replonger dans l’angoisse d’un lendemain sans signification. Pensons à Sandra Demontigny, figure emblématique de ce combat, mais à tous les autres citoyens que nous avons encouragés à patienter…

En tant que médecins prestataires, nous avons tous plusieurs personnes en attente sur nos listes : ce sont des individus qui vivent dans la crainte quotidienne de leur perte progressive d’identité et qui devront pour certains se résigner à demander l’AMM maintenant alors qu’ils sont aptes. Ils perdront ainsi de précieux mois de vie sereine.

Permettez-nous de vous rappeler :

Que ces demandes anticipées font l’objet d’un large consensus dans la société : 78 % de la population est d’accord avec cette proposition ;

Que cette question avait fait l’objet d’un colloque réunissant 200 participants de divers horizons de la santé le 27 janvier 2020, à Montréal, et que les conclusions étaient très clairement en faveur des demandes anticipées ;

Que le délai pour la mise en place de la loi sur l’aide médicale à mourir a été de 18 mois en juin 2014, alors que l’on partait d’une page vierge ;

Que le délai de 24 mois est inutilement long et ne fait qu’aggraver l’anxiété de ces patients ;

Qu’un délai de 6 mois pour élaborer un guide de pratique paraît tout à fait raisonnable, d’autant que de nombreux mémoires ont été soumis à l’attention des parlementaires et permettent déjà de tracer les contours d’un guide de pratique.

Le rapport du comité mixte remis au gouvernement fédéral en février 2023 pour ouvrir la voie à l’élargissement de l’AMM suggère de voir quelle sera la législation du Québec concernant les demandes anticipées : un report aussi long du Québec nuira à tous, alors qu’un large consensus existe.

Dans vos interventions médiatiques du mercredi 31 mai, vous faites état de certaines objections qui nous paraissent difficilement compatibles avec ce que nous vivons quotidiennement. Ainsi en est-il de l’affirmation qu’il faudra du temps pour que les IPS (infirmières praticiennes spécialisées) sachent remplir un certificat de décès. Pourtant, la manipulation informatique de ce formulaire (SIED) s’apprend en 15-20 minutes, et ce sont souvent les adjointes administratives de l’hôpital qui le remplissent parfaitement. De plus, dans la vaste majorité des cas en établissement, ce sont les infirmières qui constatent les décès.

L’apprentissage de l’AMM par les IPS ? Plusieurs d’entre nous effectuent déjà des AMM avec l’accompagnement d’une infirmière, ces dernières sont généralement (tout le temps) beaucoup plus habiles que nous, médecins, pour installer les voies veineuses nécessaires au soin, et leur formation les amène de façon quasi universelle à être très empathiques envers les patients et les proches. La formation technique d’un médecin à l’AMM se fait en une seule séance à observer un collègue et il n’y a aucune raison de croire que cela soit différent pour une IPS.

Madame la Ministre, c’est en tout respect et en faisant appel à votre empathie que nous vous demandons instamment, pour nos patients (Sandra, Mme F, Mme C, et tous les autres) de modifier votre dernier amendement dans le sens suivant : article 55, alinéa 2 : […] qui entrent en vigueur à la date fixée par le gouvernement, au 1er janvier 2024.

Ce délai raisonnable de mise en route redonnera espoir et sérénité à tous nos patients actuels et à venir. De plus, nous sommes plusieurs prestataires à vous offrir nos services dès maintenant afin de concrétiser un guide et un formulaire à partir des ébauches que nous avons déjà proposées dans les derniers mois.

Dr Georges l’Espérance, président de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité. Il cosigne cette lettre avec les docteurs Alain Naud, Pierre Viens, Laurent Boisvert et Natalie Le Sage.