Cette dame-là est partie avec son chapelet dans les mains.

Dre Le Sage consacre la fin de sa carrière à l’administration de l’aide médicale à mourir (AMM), après 32 ans dans les urgences. Elle ne pensait pas se découvrir une deuxième passion, mais c’est arrivé.

Jamais elle n’essaiera de convaincre ceux qui ne veulent pas l’aide à mourir de changer d’idée. Même qu’elle n’argumentera pas avec eux. Toutefois, elle n’acceptera «jamais» qu’on menace l’existence de «ce soin», qu’on l’invalide ou qu’on le critique.

«La religion, c’est ce que tu en fais. Beaucoup de patients croyants ont demandé l’AMM en étant très sereins. Je connais un prêtre qui accompagne les gens jusqu’à la fin. Pour lui, on ne demande pas à une personne de souffrir pour rien. C’est ça, la vraie charité, l’empathie, la compassion. Ça vient en opposition avec ce que certains veulent bien associer à l’aide à mourir, de façon négative», souligne-t-elle.

Dre Le Sage pèse ses mots, le sujet est sensible pour elle. La médecin connaît trop bien tous les aspects positifs de l’AMM. Elle résumera qu’il s’agit «d’une question de choix». Pour des gens qui ne contrôlent plus rien de leur santé physique ou mentale, ce choix est tout ce qu’ils ont. À ce moment, la mort n’est plus vue comme une fatalité.

«Je soigne. Si je n’avais pas l’impression de soigner, je ne ferais pas ça. C’est un soulagement de la souffrance qui mène au décès. C’est la dernière étape. Ceux qui demandent l’AMM n’ont pas besoin d’être convaincus. Ceux qui ont besoin d’être convaincus… ce n’est pas pour eux. Je n’accepte pas que quelqu’un essaie de dire que ça ne devrait pas exister. C’est un soin qu’il faut garder précieusement.»

Dre Natalie Le Sage se consacre exclusivement à l’AMM depuis six mois, elle a accompagné dans la mort une centaine de personnes jusqu’à maintenant, depuis environ deux ans. Le moment le plus percutant demeure la rencontre avec cette dame croyante, qui en quelques mots, défait plusieurs appréhensions négatives qu’elle entend par rapport à l’AMM. Lorsque Le Soleil lui demande les plus beaux moments… Plusieurs lui viennent à l’esprit.

«Ce que je vois, ce sont de beaux moments. Émouvants, mais beaux. Des gens qui partent en chantant en chœur avec leur famille, des gens qui s’endorment en racontant une blague, bien installés dans leur salon. On m’a déjà accueillie avec du champagne à la maison! Ce sont des moments extraordinaires. De la peine, oui, mais mélangée à du bonheur. Le bonheur de choisir.»

Dre Natalie Le Sage

Une continuité

Dre Le Sage a passé la majeure partie de sa vie dans les urgences. Certains proches ont été étonnés de son choix de fin de carrière, et ne manquaient pas de souligner le côté «paradoxal».

«À l’urgence, pendant un quart de travail, j’ai plus souvent soulagé la souffrance que sauver des vies. C’est la continuité du soulagement de la souffrance. Ce n’est pas juste la douleur, il y a les souffrances psychologiques. La fatigue, l’épuisement, le manque de contrôle face à la maladie. La souffrance existentielle face à la mort. Aucune médecine ne peut soulager ça. On est limité! J’ai vu bien des catastrophes beaucoup plus éprouvantes à l’urgence», confie Dre Le Sage.

Selon elle, l’AMM est un soin du futur. Les demandes ne cessent d’augmenter et d’autres modifications seront apportées à la loi, concernant l’admissibilité des patients, notamment. «Il y a encore de l’ignorance dans le domaine de la santé. Ça demeure récent. Il y a encore beaucoup d’informations à donner dans le réseau et au sein de la population, pour faciliter le dénouement», note-t-elle.

Elle se réjouit de l’implantation du soin dans les dernières années et est fébrile à l’idée de le voir évoluer. Elle se méfie toutefois des contestataires puisqu’un retour en arrière est pour elle, inenvisageable.

«On va tous mourir un jour, c’est notre seule égalité. Personne ne s’en sort! Choisir comment on peut terminer notre vie, ça deviendra de plus en plus populaire. C’est quelque chose qui peut se faire tout en douceur. Il y en a pour qui c’est inconcevable, et on n’oblige personne. Mais ça va continuer à s’élargir. On voulait d’abord s’assurer qu’il n’y avait pas de dérapages, et c’est normal.»

Le plateau de Dre Le Sage, avec les médicaments nécessaires pour l'AMM

En chiffres

Au Canada, 10 064 cas d’aide médicale à mourir ont été déclarés en 2021, ce qui représente 3,3 % de tous les décès au pays. Cela représente un taux de croissance de 32,4 % par rapport à l’année 2020, selon le rapport annuel du gouvernement fédéral.

Avec toutes les données prises en compte, le nombre total de décès attribuables à l’aide médicale à mourir déclarés au pays depuis que l’adoption de la législation fédérale en 2016 est de 31 664.

Au Québec, du 1er avril 2021 au 31 mars 2022, 3663 personnes ont demandé et obtenu l’aide médicale à mourir, une augmentation de 51 % par rapport à l’année précédente, selon la Commission sur les soins de fin de vie, dont le rapport annuel a été rendu public au début de mois de décembre. L’AMM représente 5,1 % des décès dans la province.

Parmi toutes les demandes d’AMM au Québec, 54% se sont déroulées en hôpitaux, 33% à domicile, 8% en CHSLD et 5% en maisons de soins palliatifs.

Dans la Capitale-Nationale, 213 demandes ont été traitées par le CIUSSS, 219 par le CHU de Québec et 50 par l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ). Dans tous ces établissements confondus, 193 demandes AMM ont été refusées.

Source : CIUSSS/CHU/IUCPQ

Les pharmaciens en coulisses

Les consignes entourant la manipulation des médicaments utilisés pour l’AMM sont évidemment très strictes. Les pharmaciens contrôlent le déplacement et la destruction de ces seringues. Leur rôle est d’ailleurs souvent méconnu dans le processus d’AMM.

Depuis le mois de septembre dernier, les médecins ont la possibilité de préparer les seringues eux-mêmes avant l’administration aux patients. Avant, toutes les trousses étaient préalablement préparées et livrées dans une petite valise verrouillée, comme le veulent l’Ordre des médecins et l’Ordre des pharmaciens du Québec.

«On avait l’obligation de préparer les médicaments en seringues dans une salle stérile. On n’en a pas sur tout le territoire. Nous, elle est à Baie-Saint-Paul, on desservait tout le territoire à partir de là», explique Éric Lepage, chef de département de pharmacie du CIUSSS de la Capitale-Nationale.

Toutes les trousses d’AMM faisaient donc le chemin de Charlevoix vers Québec ou Portneuf. Tout ces déplacements faisaient parfois sourciller les médecins, qui devaient souvent changer l’horaire rapidement, en raison de l’état dégradant de leur patient. «La nouvelle directive permet de fournir les médicaments aux médecins dans des trousses non mises en seringues. Aujourd’hui, il y en a un peu partout sur le territoire. Pour que ça soit accessible plus rapidement, ça répond à une demande», souligne M. Lepage.

Éric Lepage, chef de département de pharmacie du CIUSSS de la Capitale-Nationale

Le processus sera de nouveau appelé à évoluer, puisque le nombre de demandes est grandissant. Les trousses, seringues ou pas, sont encore toutes préparées à Baie-Saint-Paul, puis envoyées dans les pharmacie, ou directement au médecin pour une administration imminente.

Dans le processus AMM, les pharmaciens s’occupent de déterminer les doses, de jeter sécuritairement ce qui reste des médicaments et de trouver une alternative en cas d’allergie ou d’effets secondaires possibles. Ils discutent avec les médecins pendant tout le processus, ils travaillent en coulisses. «Il y a une double vérification dans toutes nos tâches. Une personne vérifie toujours le travail de l’autre», note M. Lepage.

«Ça crée une bonne pression sur les départements de pharmacie au Québec. Des fois, il y a cinq ou six demandes d’AMM qui entrent en trois jours. Il faut du temps supplémentaire, ça s’ajoute aux tâches et on ne peut pas prévoir ça. S’il y a des changements législatifs pour l’acte à consentir, et les demandes augmentent encore, ça aura des impacts sur nos ressources humaines. Pour l’instant, on le gère bien. Il faudra toutefois envisager une hausse du volume d’activités», signale M. Lepage

Les pharmaciens gardent aussi un registre de destruction et d’utilisation des trousses pendant une période de 5 ans. Depuis 2014, Éric Lepage ne note aucune erreur de médicaments sur le territoire de la Capitale-Nationale.

M. Lepage partage la pensée de Dre Natalie Le Sage : l’AMM est un soin, et tous les soins disponibles doivent être offerts à la population.

«Avec la médecine d’aujourd’hui, on n’est pas capable de soulager 100 % les douleurs physiques et psychologiques. On donne donc une opportunité à quelqu’un. Les échos que j’entends sur le terrain… c’est très positif. On respecte ceux qui n’y consentent pas, comme on respecte ceux qui veulent y avoir droit.»

 

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