Dans quelles conditions la loi sur l’aide médicale à mourir pourrait-elle évoluer au Canada?
J-F L : Pour changer une loi, il faut pouvoir démontrer qu’elle est anti-constitutionnelle, c’est-à-dire qu’elle porte atteinte aux droits fondamentaux des citoyens.
Dans le cas de l’aide médicale à mourir, on fait notamment référence au droit à la liberté, et particulièrement la liberté de prendre des décisions d’importance fondamentale pour soi, mais aussi au droit à la vie. Cela peut sembler ironique dans un contexte de demande d’aide médicale à mourir, mais cet enjeu s’applique notamment pour les personnes atteintes d’une maladie neurodégénérative cognitive et qui, présentement, ne peuvent pas bénéficier de demandes médicales anticipées. Par défaut, ces patients-là choisissent de précipiter leur accès à l’aide médicale à mourir, alors qu’ils sont encore aptes à y consentir. De fait, et parce que les critères de la loi actuelle les y obligent, ces patients se privent donc de quelques années supplémentaires auprès de leur famille. On va donc à l’encontre de leur droit à la vie.
Qui est impliqué dans le changement d’une loi, et quelles en sont les étapes?
J-F L : Il existe deux manières d’initier un changement de loi :
- la contestation judiciaire – dans ce cas, ce sont généralement des citoyens, représentés par des avocats, qui se rendent en cour pour défendre leurs droits et obtenir un jugement. Le juge n’a cependant pas le pouvoir d’adopter une nouvelle loi, il peut seulement déclarer qu’une loi n’est pas constitutionnelle. Le Tribunal accorde ensuite un délai au législateur* pour que celui-ci adopte une nouvelle loi au regard du jugement rendu et du rapport qui l’accompagne.
- les commissions d’enquête – on parle ici de rassembler des experts, pour créer une discussion et arriver à un consensus scientifique pour convenir d’un changement législatif avec le législateur. Cette fois-ci, ça se déroule donc sans le concours des tribunaux mais toujours dans un certain délai prédéfini.
*Étymologiquement, le « législateur » est « celui qui édicte la loi ». Il désigne toute personne ou institution qui participe à l’élaboration de la législation. Au Québec, il s’agit de l’Assemblée nationale. Au fédéral, c’est le Parlement du Canada.
Au Québec, c’est cette dernière option qui nous avait permis d’adopter la loi 2 (la Loi concernant les soins de fin de vie que l’on connaît aujourd’hui) : une commission d’enquête s’était déroulée pendant près de 2 ans avant de produire le rapport Mourir dans la dignité. C’est ce rapport qui a permis de définir la loi sur l’aide médicale à mourir. Il a d’ailleurs été salué comme un exercice démocratique exceptionnel, parce que tous les partis y ont participé pour finalement arriver à un consensus au niveau de l’Assemblée nationale.
Au Canada, c’est cependant l’option des tribunaux qui a mené à l’adoption de la loi sur les soins de fin de vie, grâce à des citoyens comme Kay Carter et Gloria Taylor qui ont contesté la loi. En 2015, la Cour suprême du Canada avait invalidé par sa décision unanime certains articles du Code criminel (en particulier l’article 241).
Comment le cas Gladu-Truchon a-t-il permis de faire évoluer la loi?
J-F L : En 2016, la loi qui venait d’être adoptée au fédéral en réponse à l’arrêt Carter incluait une notion de fin de vie qui n’apparaissait pourtant aucunement dans l’arrêt initial rendu par la Cour suprême. Cet ajout conditionnait, dès lors, l’accès à l’aide médicale à mourir aux seules personnes qui étaient en fin de vie. Déjà à l’époque, cela avait été pointé du doigt par certains sénateurs comme pouvant être des dispositions anticonstitutionnelles.
Dix jours après l’adoption de cette loi, en Colombie-Britannique, une première citoyenne – Julia Lamb, qui souffrait d’une maladie dégénérative – a déposé, avec les avocats du dossier Carter, une première contestation judiciaire de la loi. Au Québec, cette contestation est suivie par celle de Nicole Gladu et Jean Truchon. Parce que leur mort n’était pas «imminente», ces deux demandeurs qui souffraient de maladies dégénératives incurables depuis quelques années s’étaient vus refuser l’AMM.
Très médiatisé, le procès Gladu-Truchon a duré près de 2 mois et a fait l’objet de 30 jours d’audition au total, et ce sans compter la mise en place du dossier et l’après procès. Au total, plus de deux ans de procédure ont été nécessaires : c’est relativement court pour les tribunaux mais extrêmement long pour les patients qui, dans l’attente, ne pouvaient toujours pas bénéficier de l’aide médicale à mourir. La cour a finalement rendu sa décision en septembre 2019, avec un rapport très étoffé : 200 pages pour expliquer le jugement. Je dois dire que ce rapport a été particulièrement marquant pour moi. Les différents témoignages y sont tellement détaillés, les arguments si bien supportés qu’on le considère souvent aujourd’hui comme un rapport de Commission d’enquête. Dans notre jargon on dit parfois qu’un jugement est “à l’épreuve de tout appel” et c’est vraiment ce type de jugement qu’on a obtenu.
Comme de fait, le Québec n’est pas allé en appel de cette décision (ne s’y est pas opposé) et a indiqué qu’en date du 11 février 2020, le critère de « fin de vie » n’allait plus être opérationnel. Le fédéral n’a pas fait appel non plus, d’autant que le procès de Julia Lamb avait été écourté. Le projet de loi C-7 a ensuite rapidement été soumis aux Communes et a finalement été adopté le 17 mars 2021.
Autoriser l’AMM demandée par les directives médicales anticipées après qu’une personne aura reçu un diagnostic de pathologie neurodégénérative cognitive (comme l’Alzheimer ou encore Parkinson) et au moment qu’elle aura elle-même décidé au préalable en désignant un ou une mandataire.
Une Commission spéciale avait été créée pour évaluer la situation. Publié en décembre 2021, le rapport de cette Commission recommande unanimement l’élargissement de l’aide médicale à mourir, par le biais des directives médicales anticipées, pour ces patients… Il n’a toutefois pas encore reçu de réponse de la part du gouvernement.
Rendre accessible l’AMM aux personnes atteintes de problématiques de santé mentale (exclusivement). C’est, à vrai dire, un projet qui est déjà en cours et qui serait censé évoluer d’ici la prochaine année : un article de la loi actuelle prévoit en effet que l’exclusion de la santé mentale n’existera plus dans la loi en 2023. L’Association des psychiatres au Québec a déjà produit des lignes directrices pour aider à encadrer cette éventuelle pratique.
Rendre accessible l’AMM aux mineurs matures, de 14 à 17 ans, souffrant d’une pathologie physique incurable, à l’exclusion des pathologies de santé mentale. Malgré leur jeune âge, il ne peut en effet pas persister de doute quant à leur capacité et leur autonomie décisionnelle.