En moins de 10 ans, le Québec est devenu le champion mondial de l’aide médicale à mourir (AMM). C’est grave, docteur ?

Ce n’est pas un mal en soi. Mais on doit rester vigilant, à en juger par l’avertissement lancé au début d’août par la Commission sur les soins de fin de vie, qui observe davantage de cas aux frontières de la loi.

Des frontières de plus en plus floues. Et des frontières qui seront encore repoussées puisque Québec va permettre, dans moins de deux ans, les demandes anticipées pour les patients atteints d’une maladie neurocognitive comme l’alzheimer.

Nous ne sommes pas contre. Mais encore faut-il réaliser collectivement où nous sommes rendus, sans escamoter les questions fort délicates que soulève ce changement majeur, adopté sans grand retentissement à la fin de la session parlementaire de juin.

Mais avant de parler d’alzheimer, reprenons les choses du début.

Le Québec est donc le champion mondial de l’AMM, qui représente environ 7 % des décès dans la province, au moins deux fois plus qu’ailleurs au Canada… et même 10 fois plus qu’en Oregon, où la pratique existe pourtant depuis 25 ans.

Oui, mais là-bas, on parle de suicide assisté : le patient sort du bureau du médecin avec une prescription orale qu’il prendra tout seul. Au Québec, l’AMM a été conçue comme un soin administré par l’équipe médicale qui a pris soin du patient. Cette approche plus digne et humaine contribue à l’émergence de l’AMM qui va continuer de se développer. C’est écrit dans le ciel, avec le déclin de la religion dans notre société où la quête de la qualité de vie est érigée en valeur centrale. On mourra sans Dieu, mais sans souffrance.

Consultez le rapport Tendances sociétales sur le plan de l’évolution des valeurs et aide médicale à mourir. Des enjeux pour la pratique

Déjà, l’aide médicale à mourir a évolué très rapidement depuis son adoption en 2014. Ce qui était d’abord conçu comme un soin de dernier recours, pour écourter l’agonie, s’est considérablement élargi depuis que l’obligation d’être en fin de vie a été retirée en 2020, sans qu’on mesure pleinement la portée du changement.

Le débat s’est fait chez les élus, de façon sereine et transpartisane, ce qui est tout à leur honneur. Mais il n’a pas percolé dans la population qui perçoit l’aide médicale à mourir comme un droit absolu. Par exemple, la pression est souvent forte de la part des personnes très âgées qui disent que le « bon Dieu [les] a oublié[s] », alors que l’âge avancé n’est pas un critère suffisant.

Au départ, on voyait essentiellement des patients en phase terminale de cancer. Aujourd’hui, on voit de plus en plus de nouvelles pathologies qui peuvent mener à des interprétations différentes de la loi, qui comporte de larges zones grises.

Pour bien jouer leur rôle de garde-fou, les médecins doivent obtenir l’opinion d’un deuxième médecin… et ce n’est pas une simple formalité. Dans certaines provinces, le professionnel qui donnera ce second avis est déterminé par un corps indépendant, ce qui n’est pas le cas au Québec. Il s’agit d’une faiblesse de notre loi.

Bientôt, l’alzheimer ajoutera une dose de complexité.

Les sondages démontrent qu’une écrasante majorité de Québécois sont d’accords avec l’idée de permettre à une personne inapte de recevoir l’AMM selon les termes qu’elle a fixés alors qu’elle avait encore toute sa tête.

C’est une avancée souhaitable : on ne veut surtout pas que des personnes qui reçoivent un diagnostic de démence se suicident, alors qu’elles ont encore toute leur tête, sachant qu’elles n’auront plus la lucidité pour faire une demande d’AMM lorsque la maladie sera plus avancée.

Toutefois, il est extrêmement difficile pour une personne encore bien portante de déterminer le moment exact où elle voudra qu’on lui administre l’injection finale.

Entre les premiers stades d’alzheimer où l’on ne reconnait plus toujours ses proches et les stades avancés où l’on devient un grabataire recroquevillé sur son lit, il y a toute une évolution, remplie d’agressivité et d’errance pour certains, tandis que d’autres sont relativement sereins.

Mais comment tracer la ligne, alors que le regard que l’on porte sur l’alzheimer est forcément externe, puisqu’on n’est jamais dans la tête de ceux qui en sont atteints ? Voilà le défi immense qui attend les patients, leurs proches et le médecin qui appuiera sur la seringue… même s’il n’est pas celui qui soignait le patient lorsqu’il a formulé sa demande.

La loi prévoit que le patient doit éprouver des souffrances (physiques ou psychiques) persistantes et insupportables avant de procéder. Mais il reste encore du travail à faire pour clarifier les processus, notamment en rédigeant le guide et le formulaire de demande. Il faudra aussi s’assurer que le personnel soignant aura la formation requise pour éviter les dérapages.

Il ne faut pas que la pression sociale ou familiale pousse des gens à faire une demande anticipée, parce qu’on leur fait sentir qu’ils seront un fardeau. Déjà, les aînés sont vulnérables à la maltraitance financière de la part de leurs proches, de leur vivant. Il serait terrible qu’ils soient poussés dans leur tombe parce que leur entourage veut éviter des frais.

Le Québec est la première juridiction au Canada à avancer sur la route des demandes anticipées. Comme nous n’avons pas de modèle, retournons toutes les pierres pour ne pas nous retrouver sur une pente glissante.

 

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