Dans Le Devoir, madame Stéphanie Tremblay, par exemple, a parlé avec émotion du suicide de sa sœur et s’est inquiétée des dérives possibles d’un élargissement de la loi aux personnes touchées par des maladies mentales. D’autres opinions ont surgi à la suite du témoignage de madame Sandra Demontigny, atteinte d’alzheimer précoce, c’est-à-dire d’une maladie neurodégénérative cognitive, sur son désir de mourir dans la dignité au moment qu’elle aura choisi avant de perdre ses facultés. Les deux situations sont bien différentes. On a aussi pu lire les violentes diatribes des groupes pro-vie reprises par « le Collectif des médecins contre l’euthanasie », soutenu par les autorités religieuses.
Comme de nombreux collègues pratiquant l’AMM, je ne peux que constater qu’il existe malheureusement une grande confusion dans les notions qui entourent l’aide médicale à mourir, et spécifiquement dans le cas d’une maladie mentale ou d’une maladie neurodégénérative cognitive. Or, il est urgent et essentiel de clarifier ces notions, afin que chacun puisse, en tout état de connaissance et de conscience, se positionner.
Le débat qui nous anime actuellement porte, d’une part, sur la possibilité de donner des directives médicales anticipées (DMA) pour les personnes ayant des maladies neurodégénératives cognitives et, d’autre part, sur la possibilité d’accéder à l’AMM pour les personnes vivant avec une maladie mentale.
L’amalgame qui règne entre maladies neurodégénératives cognitives et maladies mentales est problématique et dangereux, car il s’agit de deux concepts extrêmement différents, qui ne posent pas du tout les mêmes questions ni les mêmes défis, tant cliniques que politiques. Précisons.
Les maladies neurodégénératives cognitives sont un problème organique physique dégénératif à composante symptomatique cognitive ; les gens qui en souffrent ont une espérance de vie limitée et relativement connue ; le pronostic est connu ; leur symptomatologie est toujours progressive ; les balises, en ce qui les concerne, sont assez faciles à établir ; l’appui sociétal à leur égard est quasi unanime. On peut citer, comme exemples, la maladie de Parkinson ou la maladie d’Alzheimer, parmi les plus connues.
Les problèmes de santé mentale, quant à eux, sont psychiques, peu ou pas organiques (selon les connaissances actuelles) ; ils ont une composante cognitive et émotionnelle ; ils ne présentent pas de symptômes physiques ; les gens qui en souffrent ont une espérance de vie « normale », si on excepte les cas de suicide (84 ans pour les femmes, 81 ans pour les hommes) ; le pronostic est inconnu, incertain ou variable. Pour ces maladies, les balises cliniques sont plus floues et difficiles à instaurer. L’appui sociétal, dans leur cas, est plus limité : des objections légitimes sont soulevées parmi les citoyens et le milieu médical. La dépression, par exemple, fait partie des cas de santé mentale.
Ainsi, la condition clinique n’est pas similaire entre les maladies neurodégénératives cognitives et les problèmes de santé mentale. Il est donc essentiel de réfléchir aux deux sujets de manière distincte. C’est d’ailleurs ce que prévoit la Chambre des communes sur le plan législatif : la question des DMA dans les maladies neurodégénératives cognitives doit être étudiée au cours de l’année 2021.
La question des demandes d’AMM pour problème de santé mentale sera (en principe) étudiée dans les 24 mois suivant l’adoption du projet de loi C-7.
Force est de constater que la confusion qui règne semble en grande partie puiser sa source dans les manœuvres politiques en cours, l’ordre du jour politique de certains groupes étant parfois préféré à une pédagogie et à une rigueur nécessaires. Il est grand temps que certains de nos politiques cessent de créer des amalgames artificiels sur ces concepts ô combien différents afin de faire valoir leurs positions, et qu’ils se souviennent d’un principe, fondamental : l’autonomie du patient.
Cette dernière est un pilier de l’éthique médicale. Il s’agit, pour la personne malade et apte à prendre des décisions, d’exprimer librement son autorité sur sa propre personne, à commencer par son corps. Avec une information complète et bien comprise, elle peut ainsi faire connaître ses choix, et le praticien doit se conformer à sa décision. Dans le cas de l’AMM, intégrer l’autonomie du patient consiste à prendre en compte son choix concernant sa propre fin de vie.
Respecter l’autonomie du patient n’a donc rien à voir avec les dogmes de chacun. Laissons hors de ce droit fondamental les différentes croyances religieuses ou philosophiques. En matière d’aide médicale à mourir, la question est exclusivement celle du respect absolu de cette autonomie et des façons de la traduire en clinique, en fonction de la maladie dont souffrent les patients. Leur souffrance n’est en aucune façon une quelconque licence pour du prosélytisme à leur chevet.