Il avait fallu deux ans — et une décision de la Cour suprême — pour que le gouvernement fédéral emboîte enfin le pas au Québec, en légalisant l’AMM. Puis, une autre décision — de la Cour supérieure du Québec, cette fois-ci — pour que l’AMM ne soit plus limitée aux personnes en fin de vie. Dès lors, l’élargissement de la pratique n’était qu’une question de temps. Québec et Ottawa ont cependant choisi une fois de plus d’avancer à un rythme différent. Et d’ignorer, ce faisant, la détresse de milliers de malades qui souffrent en les attendant.

Du côté fédéral, les élus ont convenu d’étendre d’abord l’AMM aux personnes aux prises avec uniquement des troubles mentaux. L’idée fait toutefois si peu consensus (notamment au sein de son propre caucus) que le gouvernement de Justin Trudeau s’est accordé ce printemps une année supplémentaire pour s’y atteler. Même les experts consultés par le comité mixte s’étant penché sur les suites de l’accès à l’AMM étaient partagés. Tant sur le caractère « irrémédiable » des troubles mentaux que sur la difficulté de distinguer le souhait de se prévaloir de l’AMM par rapport à des pensées suicidaires. Nonobstant, le gouvernement fédéral a enchâssé cet accès éventuel dans sa loi, en 2021, et ses mains sont ainsi liées.

Québec a de son côté préféré éviter l’avenue de la maladie mentale, précisément en raison des réticences des experts et de l’absence de consensus social. Le gouvernement québécois est ainsi venu légaliser plutôt les demandes anticipées d’AMM. En théorie. Car la ministre déléguée à la Santé, Sonia Bélanger, a surpris tout le monde en y insérant un délai d’entrée en vigueur d’au maximum deux ans. D’abord faut-il, dit la ministre, attendre qu’Ottawa modifie le Code criminel pour le permettre.

Voilà une position étonnante, voire discordante, de la part d’un gouvernement caquiste autonomiste qui revendique ses pleins pouvoirs à chaque occasion. Il est vrai que le Code criminel balise désormais l’accès à l’AMM, qui doit se faire avec le consentement éclairé du patient, et ce, jusqu’au dernier moment. Mais plusieurs juristes estiment que le Québec pourrait y soustraire ses procureurs, comme il l’a fait il y a neuf ans en légalisant la premier l’AMM sans attendre alors le feu vert d’Ottawa.

Il faut toutefois aussi préparer les professionnels de la santé et tout le réseau aux demandes anticipées. C’est ce qui explique vraisemblablement ce sursis malheureux que la ministre Bélanger fait porter à Ottawa.

Le gouvernement fédéral n’a toutefois aucunement l’intention de s’y mettre rapidement. « La question est complexe », répondait-il au comité mixte lui recommandant d’aller de l’avant. Les autres provinces canadiennes ne sont pas rendues là. Les partis fédéraux non plus ne s’entendent pas. Une élection fédérale, en 2024 ou 2025, viendra en outre retarder toute réflexion fédérale. Si Québec attend réellement après Ottawa, il risque d’attendre bien plus que deux ans.

Or, les milliers de Québécois et de Canadiens atteints de maladies dégénératives, et les milliers d’autres qui recevront comme un coup de massue un tel diagnostic cette année, n’ont pas le luxe de ce temps. Pour eux tous, et leurs proches, le gouvernement québécois doit aller de l’avant et concrétiser cette volonté transpartisane de l’Assemblée nationale, comme il l’a fait il y a neuf ans.

Cette antinomie entre la loi du Québec et le Code criminel fédéral risque cependant de refroidir bien des médecins, inquiets d’écoper de 14 ans d’emprisonnement, malgré les assurances du gouvernement ou des juristes.

Ottawa doit donc aussi faire preuve d’audace, s’inspirer du Québec cette fois-ci et convaincre le reste du Canada d’entamer cette difficile mais nécessaire réflexion. Après tout, plus de huit Canadiens sur dix sont favorables à ce que soient autorisées les demandes anticipées.

Faute d’arrimage, l’accès à l’AMM se retrouvera de nouveau devant les tribunaux. Or, il serait temps que nos gouvernements répondent aux demandes et aux besoins de soins de fin de vie de leurs citoyens sans y être astreints.

Sandra Demontigny, qui, à l’âge de 43 ans, est atteinte d’Alzheimer précoce, était venue présenter les choses ainsi devant le comité mixte sur l’AMM d’Ottawa. « Sans vouloir mettre de la pression, si les demandes anticipées ne sont pas acceptées par le Parlement, malheureusement, je devrai choisir seule de partir avant d’entrer dans cette [dernière] phase [de la maladie], sinon j’y serai coincée. »

Les gouvernements du Québec et du Canada semblent pour l’instant vouloir la contraindre, ainsi que tant d’autres, à un tel choix dénué de toute humanité.

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