J’ai frôlé la mort de près à l’hiver 2004-05, d’un cancer du sein métastasé aux os et au foie. J’ai aussi vu mon père décéder d’un cancer généralisé après avoir parcouru le curriculum médical jusqu’à la fin. Voici ce que j’en ai appris.

La douleur

Souffrir ressemble beaucoup à grelotter. C’est un recroquevillement, une contraction de tout le corps, de la racine des cheveux jusqu’aux pieds. Ça fait MAL!!! Et ça fait mal constamment. Ce grelottement absorbe toutes vos forces, toute votre attention, c’est épuisant. Pensez-y : supporteriez-vous de grelotter dix jours, vingt jours, deux mois, des années?

Le soulagement

Vient la piqûre de morphine. C’est comme une vague de chaleur qui nous délivre du grelottement, une somptueuse relaxation sur une plage étale. « Merci!!! Ah! Merci!!! Ça fait tellement de bien!!! » Mais attention, il faut rester bien sage, car si vous ouvrez les yeux, c’est le vertige, le décor bascule, la nausée vous prend et peut vous mener au vomissement. Autre désagrément : la constipation vous barre le ventre, vous torture l’anus. Et le répit est de courte durée. Au bout de 3 heures, ce serait le temps d’une autre piqûre, mais l’infirmière doit attendre 4 heures… Et on se remet à grelotter. Et puis, il y a l’habituation, il faut augmenter les doses, on devient halluciné, confus, à moitié idiot (j’ai vu mon père dans cet état).

Disgrâce et pestilence

Pendant ce temps, le corps se vide. Plus d’appétit ni d’exercice, vous fondez. Dans le miroir, vous êtes un squelette comme ceux des camps de concentration (sans exagérer), plus de fesses pour s’asseoir, vos seins sont vidés, aucun confort avec ces genoux cagneux, sauf avec un coussin entre les jambes. La peau ratatine et fait des plis partout. Une disgrâce totale. Pire : à cause de la médication, vos urines, selles, flatulences, haleines, vomissements ont une odeur de fin du monde, que vous imposez à vos aidants, une profonde humiliation. Si vous devez déféquer au lit en bassine sèche, la puanteur est indescriptible et c’est quelqu’un d’autre qui vous essuie ensuite les fesses, une encore plus grande profondeur d’humiliation.

L’énergie

C’est la panne sèche. Il faut s’y prendre en 3 sessions pour laver une petite vaisselle, car ce travail est trop cardio!!! Incapable de faire les repas, le ménage, un travail quelconque. Au début, on lit, on regarde des DVD, on essaie de s’adapter et d’en profiter autrement. Puis, lire devient trop fatigant. On n’aspire plus qu’à sombrer dans le sommeil, l’inconscience et pourquoi pas, le néant.

L’entourage

Tout le monde a de la peine. Ils sont là, font leur possible, assument mal leur impuissance, vont se cacher pour pleurer, même si on essaie de faire régner une atmosphère plutôt « matter of fact ». Leur chagrin fait peine à voir.

Mourir de faim ou de soif?

Une fois ses moyens d’intervention épuisés, la médecine conventionnelle vous laisse alors vous dégrader de façon « naturelle », les organes faillissent et vous découvrez d’autres douleurs, d’autres écœurements. La morphine vous rend à demi idiot et vous n’êtes même plus réellement présent. Au bout du compte, la médecine vous laisse mourir de faim ou de soif. Si vous acceptez le soluté hydratant, vous mourrez de faim, ce qui peut prendre peut-être 30-90 jours. Si vous refusez d’être hydraté, vous mourrez de soif en peut-être 10-20 jours, dans un état de prostration que je n’ose pas imaginer. Pendant tout ce temps, les gens défilent à votre chevet et vivent un chagrin aigu et prolongé.

En terminer soi-même

Si on cherche, on trouve assez facilement des guides analysant toutes les formes de suicide, selon leur efficacité (on ne veut surtout pas manquer son coup) et leur aspect moins traumatisant pour l’entourage. Ici, il faut agir assez vite, tandis qu’on est encore capable de poser l’acte final, ce qui demande un courage d’une qualité spéciale. Il y a aussi la difficulté́ de ne pas incriminer ses proches. Comment arriver à avoir quelqu’un qui vous tienne la main au dernier moment, sans qu’il/elle soit accusée de meurtre. Vous rendez-vous compte de la cruauté de ce dilemme… Il faut surveiller tout, jusqu’aux empreintes digitales!

La mort, c’est aussi ça la vie

Je vais mourir, et je le sais. Vous aussi allez mourir un jour, le savez-vous? Les gens qui clament « La vie, la vie! » semblent souvent vouloir absolument éviter un regard sur la mort, ultime étape de la vie. La mort est incontournable, et s’y préparer est sage. Mes recherches et lectures sur la mort, loin de m’horrifier, m’ont apporté́ beaucoup de paix intérieure. On peut réussir sa mort comme on réussit sa vie. Tirer sa révérence en se sentant comblé. Tous ceux qui l’ont frôlée de très près en parlent comme d’une expérience agréable. Il n’y a que deux façons de l’aborder : avec horreur et panique ou avec courage et curiosité. Je cultive la deuxième, quoique je sache ne pas être à l’abri de la première.

 

– Claire Morissette –