Le projet de loi, déposé le 25 mai dernier, visait à encadrer notamment des demandes anticipées d’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, dont souffrent environ 140 000 Québécois. Un article controversé portant sur les cas de handicap neuromoteur grave en avait été retiré.

Entouré des membres de la commission spéciale consacrée à l’étude du projet de loi, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a expliqué que la décision avait été prise d’un commun accord. Même s’ils ont tous pris les bouchées doubles ces derniers jours, la fin des travaux parlementaires, prévue vendredi, est arrivée trop vite.

Je pense qu’on est tous conscients que c’est trop important […] pour ne pas prendre tout le temps nécessaire étant donné la complexité du sujet. On va avoir besoin de temps supplémentaire pour compléter le travail qui a été excessivement bien entamé.

Beaucoup de personnes attendent cette avancée, mais il faut être prudent, a ajouté M. Dubé. On avait décidé que la mise en vigueur de ce projet de loi, quand il serait accepté, pourrait prendre de 18 à 24 mois. Il faut donner le temps aux Québécois et aux professionnels de la santé qui gravitent autour de ça de s’ajuster, de poser les questions, et laisser le temps au ministère de faire les guides appropriés, etc.

« Je veux rassurer les Québécois qui s’intéressent à cette question-là de ne pas être déçus aujourd’hui. Le travail va continuer. »

— Une citation de  Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux

La reprise des travaux se fera sans doute avec d’autres joueurs au sein de la commission. La porte-parole du Parti québécois en matière de soins de fin de vie, Véronique Hivon, n’y sera assurément pas, puisqu’elle a déjà annoncé sa décision de ne pas se représenter aux prochaines élections. Sa contribution importante relativement à la loi sur l’aide médicale à mourir a d’ailleurs été saluée par M. Dubé.

On aurait tous voulu ardemment pouvoir adopter ce projet de loi. De tout notre cœur, mais pas à n’importe quel prix. Aujourd’hui on fait la chose responsable, a indiqué Mme Hivon. On fait contre mauvaise fortune bon cœur et on va miser sur ce qu’on a réussi à améliorer en termes de discussions, de législation, d’éclaircissements, d’orientation, pour repartir plus solidement pour la suite.

Comme ses collègues, Mme Hivon a eu une pensée pour ceux qui sont en attente et qui espéraient vivement que le projet de loi puisse être adopté prochainement pour formuler une demande.

À tous les gens qui sont déçus aujourd’hui, je veux leur dire qu’on est déçus nous aussi. On aurait vraiment aimé réussir […] On espère que de nous voir tous réunis, de manière transpartisane et engagée, ça va leur donner de l’espoir, a-t-elle affirmé. On veut que l’espoir de cette avancée sociale continue d’être vivant pour le Québec et surtout pour les personnes qui souffrent de ces maladies neurocognitives.

« On va réaliser ça. Un peu plus tard, mais beaucoup mieux. »

— Une citation de  Véronique Hivon, porte-parole du PQ en matière de soins de fin de vie

Une demande anticipée et consignée

Le projet de loi 38 permettrait à une personne atteinte d’une maladie grave et incurable menant à l’inaptitude (démence, alzheimer, parkinson dans certains cas) de choisir sa fin de vie.

Elle pourrait, avec l’aide d’un médecin ou d’une infirmière praticienne spécialisée (IPS), décider à quel stade de la maladie elle souhaite qu’on mette fin à ses jours, même si elle n’est alors plus apte à y consentir.

La demande serait consignée dans un formulaire rempli et signé en présence d’un médecin ou d’une IPS, puis contresignée par deux témoins ou notariée. Elle serait ensuite versée dans un registre.

La personne pourrait désigner un ou deux tiers de confiance ou, si elle est seule, être accompagnée dans sa démarche par le personnel soignant pour informer un médecin ou une IPS lorsqu’ils sont d’avis qu’elle éprouve les souffrances décrites dans sa demande.

La personne pourrait modifier ou retirer sa demande anticipée d’AMM.

Comme l’a indiqué Nancy Guillemette, députée caquiste membre de la commission spéciale sur l’aide médicale à mourir, c’est en grande partie pour protéger les personnes vulnérables qui n’ont plus toutes leurs aptitudes que le projet de loi a dû être mis en veilleuse.

Je pense qu’aujourd’hui c’est la bonne décision qu’on prend. Le travail de la commission spéciale était trop important et trop sensible pour faire l’économie du débat, a dit Mme Guillemette.

On a vraiment eu de grands défis à transposer ce que nous, on a mis en recommandation dans notre rapport dans un projet de loi, dans ce qui est faisable sur le terrain, afin de donner un niveau de confort acceptable pour les gens qui prendront la décision finale, a-t-elle indiqué.

Le ministre Christian Dubé a également évoqué la complexité d’élaborer un cadre d’action clair pour les médecins.

Il faut aussi se mettre dans la tête des médecins qui vont avoir à prendre ces décisions-là. Ils nous ont posé beaucoup de questions. Jusqu’à la dernière minute, on a apporté des amendements pour répondre à ces questions-là.

Un souhait pour la reprise parlementaire

Membre libéral de la commission, David Birnbaum n’avait pas le cœur léger jeudi après-midi au moment de l’annonce. Il pense toutefois que c’est la décision qui s’impose étant donné l’engagement de la commission à faire ce projet de loi correctement, avec le plus de rigueur possible.

Vincent Marissal, de Québec solidaire, a toutefois bon espoir que tout le travail abattu par la commission n’aura pas été vain. Comme ses collègues, il souhaite que le projet de loi soit repris dans sa forme actuelle à la rentrée du Parlement, après les élections d’octobre.

Il y a tellement de considérants dans un projet de loi comme celui-là. On a fait un immense travail de débroussaillage avec la commission spéciale, et je pense qu’on peut être fiers de tout ça. On est en train de construire une maison, sur un nouveau territoire, avec de nouveaux matériaux. Là, on a fait la fondation et elle est solide.

Déception à l'AQDMD

L’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité (AQDMD) s’est dite déçue de cet abandon et du retard impliqué pour les patients. L’organisme a également déploré que le dépôt tardif n’ait pas permis aux députés de finaliser leur examen.

Le temps parlementaire n’est pas celui des patients, a réagi le Dr Georges L’Espérance, président de l’AQDMD, par voie de communiqué.

Pour certaines personnes […] qui voient leurs capacités se réduire petit à petit et qui ne seront bientôt plus aptes à décider de leur fin de vie, ce sont les espoirs d’une mort douce, libre et dans la dignité qui s’envolent avec l’abandon du projet de loi. Ces personnes devront donc choisir, si elles le désirent, d’abréger leur vie pendant qu’elles sont aptes et donc de perdre du temps de qualité avec leurs proches.

La porte-parole de l’organisme, Sandra Demontigny, est également déçue de la tournure des événements. La femme de 42 ans, qui est atteinte d’alzheimer précoce, a toutefois bon espoir que le projet sera réévalué à l’automne par la nouvelle législature provinciale.

Nous sommes tellement proches du but; le gouvernement et les experts ont déjà travaillé très fort sur le sujet, main dans la main, a-t-elle indiqué. Il serait trop bête de laisser ce beau projet prendre la poussière. Il faut s’accorder le temps d’analyser et voter le projet. Notre société en sortira grandie et plus sereine. Je vais continuer de me battre pour faire avancer les choses.

Pour sa part, le Collège des médecins a salué, sur Twitter, le sérieux du travail des élus québécois au cours des derniers jours pour tenter d’élargir l’accès à l’aide médicale à mourirIl faudra que le prochain gouvernement reprenne l’exercice avec cette fois l’étude du handicap neuromoteur, retiré in extremis du projet de loi, a précisé l’organisme.

Le gériatre David Lussier s’est également manifesté sur Twitter à la suite de l’annonce. C’était la bonne décision à prendre. C’est un sujet très complexe et délicat, pour lequel le Québec est un pionnier à l’échelle mondiale. Il ne faut surtout pas le faire dans la précipitation.

 

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