Annoncée peu avant les vacances de Noël, la décision du gouvernement Trudeau de négocier le report de l’admissibilité à l’AMM aux personnes souffrant d’une maladie mentale divise la communauté médicale. Si certains voyaient arriver la date du 17 mars 2023 avec une appréhension grandissante, plusieurs ont plutôt déploré une prudence excessive. Il est vrai que les gains se feront essentiellement sur le front de la mécanique organisationnelle.

Or, on le sait, le réseau de la santé est si dysfonctionnel qu’il n’avance plus que par crise d’un océan à l’autre. Ce sursis risque donc de se transformer en stérile marchandage de temps avec, pour les patients souffrants qui auraient pu bénéficier de cette attendue porte de sortie, des gains nuls, voire des dénis de soins crève-coeur.

Il est bon de le rappeler, le Groupe d’experts sur l’AMM et la maladie mentale a expertement balisé le terrain. On sait quoi faire et on sait comment il faudra le faire. Au Québec, nous bénéficions aussi d’un avantage supplémentaire : l’AMM est offerte dans une perspective de continuum des soins en plus de bénéficier de la supervision éclairée de la Commission sur les soins de fin de vie. Elle vient donc avec une obligation tacite : la qualité et l’universalité des soins palliatifs doivent être irréprochables afin de garantir, en tout temps et en toutes circonstances, le caractère d’exception de l’aide à mourir.

Il devra en aller de même avec les soins en santé mentale, parents pauvres d’un système public en déroute. L’AMM ne devrait jamais devenir une solution de remplacement pour des soins essentiels que l’État échouerait à donner autrement. Le défi s’annonce ici encore plus colossal : les dépenses du Canada en cette matière sont jusqu’à deux fois moindres que celles de plusieurs pays de l’OCDE.

De plus — le groupe d’experts nous a bien mis en garde —, en santé mentale, donner les meilleurs soins ne suffit pas toujours. Il y a une spirale de vulnérabilité à prendre en compte : pauvreté et logement, en tête. Il faudra s’y attaquer si on ne veut pas que ce régime soit pris d’un mal semblable à celui qui fait tant de ravages dans nos services publics, soit l’écartèlement entre plusieurs vitesses.

Pour l’heure, c’est tout le Canada qui retient son souffle sur l’ajout de cette situation critique. Mais il ne faudrait pas que l’AMM soit offerte à certains et pas à d’autres parce qu’on n’aura pas su sécuriser toutes les questions d’incurabilité, d’irréversibilité, de capacité, du risque de suicide et de l’incidence des vulnérabilités structurelles comme le prescrit le groupe d’experts.

On attend à cet effet, et avec beaucoup d’impatience, les clés que devrait nous donner le rapport final du Comité mixte spécial sur l’AMM, attendu d’ici le 17 février. Restera tout de même entière la question des handicaps entraînant des souffrances physiques et psychiques intolérables. Hors Québec, cet état de santé suffit pour avoir librement accès à l’AMM. Ici, il faut en plus être atteint d’une maladie grave et incurable. Une asymétrie que dénonce à raison le Collège des médecins du Québec.

À Québec, le projet de loi 38 entendait ajouter les handicaps neuromoteurs graves et incurables à la liste des maladies admissibles, un ajout de dernière minute qui a fragilisé les travaux de la Commission de la santé et des services sociaux. Il ouvrait également la porte aux décisions anticipées et à l’inaptitude, en plus d’élargir sa prestation aux infirmières praticiennes spécialisées. Sa mort au feuilleton, en juin dernier, a été reçue comme un échec cuisant par tous les joueurs concernés, y compris parmi les plus hésitants.

Riche de quatorze jours d’audience, mais surtout de la parole d’une centaine d’experts et d’intervenants, de quelque 80 mémoires et de 3000 avis du public, l’examen du PL 38 avait permis un consensus transpartisan remarquable. Il faut espérer que cette bonne entente ne se sera pas trop effritée quand la ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, Sonia Bélanger, en déposera une nouvelle version.

Surtout, il faut espérer que le gouvernement caquiste s’y attaquera dès la reprise des travaux parlementaires. L’uniformisation des lois québécoise et canadienne encadrant l’AMM est essentielle. Un régime à plusieurs vitesses est indigne d’une approche prônant une mort digne à tous. Nous avons jusqu’ici fait montre d’une humanité, d’une éthique et d’une probité scientifique et médicale exemplaires. Il est impératif de continuer rigoureusement sur cet élan, tout en prenant soin de ne pas confondre prudence et atermoiements dans le tournant.