Handicap ou handicap neuromoteur : les notions divergent
Au Québec, le projet de loi 11 a été déposé en février 2023, après une première tentative lors de la session parlementaire du printemps 2022. Il prévoit notamment d’inclure les personnes touchées par un « handicap neuromoteur » parmi les bénéficiaires potentiels de l’aide médicale à mourir. Cela permettrait une forme d’harmonisation entre la loi québécoise et le Code criminel canadien (CCC) en matière de handicap et d’aide médicale à mourir.
En effet, dans le Code criminel canadien, la notion de handicap est incluse dans les critères d’admissibilité. Faisant suite à la décision unanime de la Cour suprême du Canada du 6 février 2015 (l’Arrêt Carter), le fédéral a fait siens les termes de la Cour en introduisant dans le Code criminel le critère de “maladie, affection ou handicap grave et incurable” pour déterminer l’admissibilité d’un patient. Pour la Cour suprême, le plus important est donc la condition grave et incurable du patient qui souhaite avoir recours à l’aide médicale à mourir, sans égard à la terminologie utilisée.
En revanche, au Québec, le projet de loi 11, même s’il intègre désormais la notion de handicap, est plus restrictif puisqu’il mentionne exclusivement le “handicap neuromoteur”. Cette différence sémantique exclut donc automatiquement le recours à l’aide médicale à mourir pour les personnes qui souffrent d’autres formes de handicap et qui souhaiteraient explorer cette possibilité.
“Il est urgent que le Québec harmonise sa propre loi à celle du Code criminel canadien. Nous continuons de brimer les droits de nos citoyens québécois depuis 7 ans de recevoir l’aide médicale à mourir lorsqu’ils ont une condition qui serait dénommée comme uniquement un handicap.”
Handicap et aide médicale à mourir : le Dr Alain Naud nous répond
Le Dr Alain Naud est impliqué dans l’aide médicale à mourir depuis les débuts de celle-ci. C’est grâce à son expérience et les différents patients qu’il a pu accompagner qu’il a nourri sa réflexion concernant ce soin.
Actuellement, qu’est-ce que cette différence entre la loi provinciale et le Code criminel implique…
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Pour les patients?
Actuellement, la loi 2 du Québec ne donne théoriquement pas accès à l’aide médicale à mourir aux patients québécois touchés par un handicap. Les patients québécois souffrant d’un handicap qui se voient refuser leurs demandes d’aide médicale à mourir se retrouvent parfois contraints de prendre d’autres dispositions peu souhaitables.
Nombre d’entre eux choisissent de recevoir le soin dans d’autres pays qui l’autorisent (en Suisse, par exemple). Les conditions sont toutefois différentes et cela nécessite des démarches très longues (de 6 à 12 mois, en moyenne) et très coûteuses.
“Aller mourir en Suisse pour les patients québécois, ça ne se fait pas dans un contexte chaleureux. Les patients se retrouvent dans une zone industrielle, dans une bâtisse anonyme, loin de leur foyer et de leurs proches.”
C’est une différence considérable avec les autres patients canadiens qui n’ont pas à subir ces démarches. Le cas de Caroline Lamontagne, une jeune québécoise de 35 ans qui, à la suite d’un accident de plongée, s’est retrouvée paraplégique, est significatif. Deux ans et demi après son accident, elle a fait le choix de demander l’aide médicale à mourir et a pu en bénéficier grâce au fait qu’elle vivait en Alberta. Au Québec, sa demande n’aurait pu légalement être considérée en s’appuyant uniquement sur la loi 2. En matière de handicap et d’aide médicale à mourir, il y a donc présentement une vraie différence législative entre les citoyens du Canada hors-Québec et ceux du Québec.
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Pour les médecins?
Pour les médecins, il s’agit d’une complication supplémentaire d’avoir une telle différence de loi entre le Québec – la loi 2 – et le reste du Canada qui répond au code criminel.
Cela oblige en effet les médecins à interpréter deux lois différentes dans leur pratique et ils peuvent subir les questions inquisitrices de la Commission des soins de vie. Et c’est l’une des principales raisons qui explique que certains médecins, particulièrement les plus jeunes, restent réticents à donner le soin ou décident d’arrêter totalement leur implication dans l’aide médicale à mourir.
“C’est comme si l’on demandait présentement aux médecins de se transformer, en plus de leurs occupations et responsabilités déjà lourdes, en juristes et d’interpréter 2 lois avec des critères différents.”
C’est une situation particulièrement inquiétante pour les médecins puisque prodiguer l’aide médicale à mourir en dehors des lois est passible d’une accusation criminelle de meurtre qui peut valoir 14 années d’emprisonnement.
Dans ce contexte, de nombreux médecins se sentent moins soutenus et protégés par la loi pour soulager les souffrances de leurs patients admissibles. C’est d’autant plus problématique que, dans certaines régions, les médecins praticiens de l’aide médicale à mourir se font plus rares, ce qui pose un véritable défi également pour les patients en termes d’accessibilité.
Le projet de loi 11, qui intègre le handicap parmi les cas admissibles, permettrait de rectifier ce point.
Cependant, le projet de loi 11 n’intègre que les handicaps neuromoteurs, et un handicap physique n’est pas forcément neuromoteur. Est-il légitime de distinguer les différents types de handicaps pour permettre l’accès à l’aide médicale à mourir aux patients souffrant de handicap?
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) distingue 6 types de handicaps différents :
- handicap moteur
- handicap sensoriel
- handicap visuel
- handicap auditif
- handicap intellectuel ou déficience intellectuelle
- handicap résultant de maladies invalidantes (ex. : maladie pulmonaire sévère avec un besoin d’oxygène en permanence)
Le projet de loi ne permettrait donc pas à tous les patients touchés par un handicap grave et incurable d’être admissibles à l’aide médicale à mourir.
“Le terme “neuromoteur” du projet de loi est discriminatoire car il amène une restriction supplémentaire et injustifiée à l’admissibilité.”
Or, le plus important est de comprendre la condition grave et incurable du patient et il n’y a pas lieu de distinguer a priori les différents types de handicaps.
Est-ce que des dérives seraient possibles si la loi intégrait l'élargissement des critères d’admissibilité au handicap?
Depuis l’entrée en vigueur de la loi dans le reste du Canada en juin 2016, aucune dérive n’a été observée et il n’y a rien qui permette de penser qu’il en serait autrement au Québec. Les médecins québécois ne sont pas moins rigoureux et compétents que ceux du reste du Canada.
Il est important de savoir que le handicap n’est pas une voie d’accès directe pour recevoir l’aide médicale à mourir pour les patients qui le souhaitent. En effet, le handicap ne représente que l’un des nombreux critères requis pour être jugé admissible à recevoir l’aide médicale à mourir. Tous les critères doivent donc être rencontrés pour approuver la demande d’un patient faisant la demande.
Il est également important de préciser que l’évaluation préalable (la 1ère rencontre faite avec le patient) pour valider une demande d’aide médicale à mourir prend beaucoup de temps car de nombreux paramètres doivent être vérifiés par le médecin et l’équipe médicale. En règle générale, ce rendez-vous dure entre 2h30 et 5 heures. Durant ce rendez-vous, le médecin doit prendre connaissance de l’ensemble du dossier médical du patient. Il peut également être amené à rencontrer les proches du patient, si celui-ci le souhaite, ainsi que l’ensemble de l’équipe traitante. Il s’agit donc d’une décision faite au cas par cas.
Harmoniser la loi québécoise n’aurait donc aucune incidence sur cet aspect-là.
Par ailleurs, une dérive ou un dérapage serait le fait d’administrer le soin à une personne qui ne respecterait pas les critères d’admissibilité décrits par la loi. Par exemple, à quelqu’un qui serait inapte à consentir (déficience intellectuelle sévère, démence, etc.) ou à quelqu’un contre sa volonté ou à son insu. De fait, les personnes touchées par un handicap intellectuel sévère ne sont donc pas admissibles à l’aide médicale à mourir en raison des autres critères. Elles sont déjà protégées par les lois actuelles, et l’harmonisation totale de la loi québécoise avec le code criminel n’y changerait rien.
Enfin, il est très important de noter que pour les médecins, les notions de maladie et de handicap sont souvent interreliées et il n’est pas toujours évident de les définir ou les considérer séparément. Cette différence de traitement est donc purement sémantique et brime les droits des Québécois par rapport à tous les autres Canadiens.
Le Collège des médecins souhaitait une harmonisation de longue date
Le Collège des médecins du Québec, l’ordre professionnel des médecins, a pris une position déontologique en mai 2021 en diffusant un communiqué de presse qui indiquait « qu’il est inacceptable que les Québécois n’aient pas les mêmes droits que le reste du Canada au niveau de l’aide médicale à mourir ». Par cette position, le Collège a voulu assurer aux médecins que s’ils respectaient la loi québécoise ou la loi fédérale (code criminel Canadien), il n’entreprendrait aucune procédure disciplinaire à leur égard sur ce point du handicap dans l’aide médicale à mourir .
L’AQDMD en faveur du retrait du critère « neuromoteur »
Comme le Dr Naud, l’AQDMD considère que le terme « neuromoteur » exclut plusieurs autres types de handicaps tels que ceux de nature congénitale grave. Cette restriction maintiendrait de nouveau la loi québécoise sur les soins de fin de vie plus limitative que la loi fédérale. Elle serait aussi discriminatoire pour les Québécois·es en situation de handicap non neuromoteur mais respectant tous les autres critères. L’AQDMD considère donc qu’il n’y a pas lieu de garder ce qualificatif de « neuromoteur », trop restrictif.
Pour la suite, dans les prochaines semaines, les membres de la Commission parlementaire vont continuer à débattre afin de proposer des amendements pour essayer de trouver un consensus sur le projet de loi 11. Ce texte sera ensuite présenté à l’assemblée nationale pour être voté et si celui-ci est approuvé, il viendra modifier la loi québécoise afin de permettre aux Québécois et aux Québécoises souffrant de handicap (neuromoteur ou autre), de bénéficier de l’aide médicale à mourir. À l’exception très claire et définitive des personnes avec un handicap intellectuel sévère qui les prive de leur autonomie et de leur libre-arbitre, c’est-à-dire de leur aptitude à décider pour eux-mêmes. Ce qui est un des piliers éthiques et incontournables de l’aide médicale à mourir.
Si vous avez d’autres questions concernant le handicap et l’aide médicale à mourir, n’hésitez pas à en faire part à l’équipe de l’AQDMD qui pourra vous éclairer sur le sujet.
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