Selon des statistiques qui couvrent la période du printemps 2021 au printemps 20221, on apprend que les Québécois sont ceux qui ont le plus recours à l’aide médicale à mourir, dans la poignée d’endroits qui, dans le monde, permettent ce soin.

Ainsi, explique le DMichel Bureau, 7 % des décès constatés par un médecin au Québec concernent des personnes qui ont reçu l’aide médicale à mourir, quatre fois et demie plus qu’en Suisse, trois fois plus qu’en Belgique et deux fois plus qu’en Ontario.

Qu’est-ce qui explique cette disparité ?

Je me souviens des arguments parfois hystériques des opposants québécois à l’aide médicale à mourir (AMM), qui nous promettaient quasiment un avenir à la Soleil vert, cette dystopie hollywoodienne où les vieux sont transformés en biscuits. Je me doute bien que ceux-là (les opposants à l’AMM, pas les vieux du film de Charlton Heston) vont rappliquer pour hurler que le Québec aime plus la mort que la vie…

Partons du principe que les Québécois, comme les Suisses, les Belges et les Ontariens, sont attachés à la vie. En cela, nous ne sommes pas très différents des autres êtres humains : l’instinct de vie est tout aussi présent chez nous qu’ailleurs.

Pour avoir couvert pendant des années le débat sur l’aide médicale à mourir avant son avènement, pour avoir entendu les témoignages de proches ayant assisté à une AMM, pour avoir parlé à des gens qui allaient la recevoir et pour y avoir assisté, je vais me permettre d’explorer trois raisons qui font que l’AMM est si « populaire » au Québec.

Un, nous avons été à l’avant-garde de ce débat.

Dès le début des années 2010, le Québec s’est lancé dans une grande réflexion sur l’aide médicale à mourir. Des députés ont sondé les Québécois, ont sollicité l’avis d’experts et sont allés à l’étranger pour constater les meilleures pratiques.

Au terme des travaux de cette commission transpartisane dirigée par les députés Véronique Hivon et Geoffrey Kelley, l’Assemblée nationale a mis en place un cadre législatif qui allait permettre aux citoyens de demander ce soin, à l’intérieur de certaines balises…

Le fédéral et les autres provinces n’ont pas eu ce débat en même temps que le Québec. On peut même dire qu’Ottawa et les autres provinces n’ont pas fait le débat social et politique : c’est la Cour suprême du Canada qui l’a imposé, le débat, avec l’arrêt Carter.

Bref, en ce qui concerne la popularité de l’aide médicale à mourir au Québec, voici une première esquisse d’explication : les Québécois se sont familiarisés avec le concept au terme d’un vaste dialogue social.

Deux, plus il y aura de Québécois qui demanderont l’aide médicale à mourir… plus il y a aura de Québécois qui demanderont l’aide médicale à mourir.

Je m’explique : l’AMM est souvent l’occasion d’un dernier adieu à ses proches. Je ne dis pas que c’est une fête… Mais parfois, ce l’est. C’est en tout cas un moment qui est souvent d’une grande beauté.

Au printemps dernier, j’ai assisté à l’AMM d’Yves Bélair2. Il était entouré des personnes qu’il a aimées et qui l’ont aimé. Le médecin qui la lui a administrée, Georges L’Espérance, militait pour l’aide médicale à mourir dans les années 1980. Alors que nous jasions dans la cuisine, nous parvenaient du salon les joyeux éclats de voix des convives.

« C’est presque toujours comme ça, m’avait dit le DL’Espérance, quand je fais une aide médicale à mourir… »

Les gens qui assistent à une AMM sont souvent saisis par la grande beauté qui peut flotter dans l’air. Ce qu’ils emportent avec eux, après ces ultimes adieux, ce n’est donc pas uniquement la tristesse de la mort. C’est la sérénité de la libération de ceux qui souffraient.

Bref, plus il y aura d’aides médicales à mourir, plus il y aura de Québécois qui y auront personnellement assisté. Et plus ils feront un choix en connaissance de cause, s’ils font face à l’inéluctable.

Trois, l’aide médicale à mourir est bien intégrée dans le continuum de soins au Québec.

Le système de santé québécois est loin d’être parfait. L’accès aux soins palliatifs et à la sédation palliative peut parfois poser problème. Tout cela mérite réflexion et amélioration. Mais l’aide médicale à mourir est bien intégrée dans l’arsenal des soins de fin de vie. Les soignants sont bien au fait des procédures et peuvent renseigner les malades.

Et les mentalités évoluent chez les soignants : des médecins qui hier étaient réticents à administrer l’AMM le font aujourd’hui.

J’ignore comment ça marche en Belgique, en Suisse et en Ontario, mais au Québec, l’accès à l’aide médicale à mourir n’est (généralement) pas difficile (même s’il y a parfois des pépins).

Ces trois facteurs, interreliés, expliquent à mon avis pourquoi l’aide médicale à mourir est si « populaire » chez nous.

Pouvoir choisir de ne pas aller au bout du supplice moral et physique de la maladie est une avancée humaine qui m’apparaît encore comme exceptionnelle.

Il ne faut pas oublier ceci, du reste : offrir l’AMM fut un choix de société, mais aucun citoyen n’est tenu d’y avoir recours.

L’immense majorité des Québécois, d’ailleurs, choisit d’aller jusqu’au bout de son dernier souffle de vie, sans avoir recours à l’AMM.