Sandra Demontigny, vous êtes devenue le visage des demandes anticipées. Pourquoi sont-elles essentielles pour vous?
C’est une quête personnelle qui est devenue politique.
Une des particularités de l’Alzheimer précoce, c’est qu’étant presqu’exclusivement de nature purement génétique, il est nettement plus simple à diagnostiquer que l’est la forme commune. Il ne suffit que d’une prise de sang. Ce qui n’est pas le cas pour la maladie sporadique, donc non-génétique, de la maladie d’Alzheimer sous sa forme plus commune.
Dès mes premiers symptômes, j’ai donc eu un diagnostic clair et inéluctable. Face à l’Alzheimer, encore à ce jour, nous n’avons pas de solution parfaite. La science n’arrive qu’à ralentir le processus, et non à guérir. Et avec l’Alzheimer précoce, on n’a pas non plus de temps. Je vais avoir une fin de vie prématurée : je sais que je ne vivrai pas au-delà de la fin de ma quarantaine ou du début de ma cinquantaine.
Avec mon diagnostic, je n’ai pas eu le choix, ça m’a conduit à réfléchir plus sérieusement à la mort, à m’interroger sur ma fin de vie, sur que faire du temps qu’il me reste…
Au fil du développement de ma réflexion, je suis peu à peu devenue plus sereine. J’ai trouvé beaucoup de réponses dans la perspective d’un décès planifié, avant que la maladie ne devienne trop grave. Je ne veux pas vivre la fin de mes fonctions primaires, comme être capable de m’alimenter, aller à la salle de bain…
L’aide médicale à mourir par demande anticipée, c’est ma solution à cette fin de vie hors de la dignité.
Qu’avez-vous ressenti lorsque la loi a été votée?
Je me suis réjouie du vote de la loi, c’est un moment que j’ai beaucoup attendu. Savoir que le texte est passé, ça m’offre une forme de paix. Mais le délai de 2 ans me crée un stress important.
Tous les jours, je chemine sur ma fin de vie, sur ce que je suis prête à accepter ou ne pas accepter dans mes symptômes physiques ou moraux. Mais avec ce délai, peut-être que je réfléchis pour rien. Je ne serai peut-être pas capable de me rendre jusque-là.
Je l’espère profondément, mais rien ne peut me le dire, d’autant qu’il y a peu d’études et de témoignages sur l’Alzheimer précoce. Pour moi, plus le délai est long, plus mes chances de bénéficier de l’aide médicale à mourir se réduisent.
Je suis également déçue de l’attitude du gouvernement fédéral, qui traîne des pieds pour proposer un texte sur les demandes anticipées au niveau fédéral et qui considère qu’il faut davantage d’études.
J’ai conscience que les demandes anticipées sont un sujet délicat, mais on a beaucoup d’outils pour bien les encadrer : les mémoires, les travaux des deux commissions parlementaires… Je pense que le gouvernement ne veut pas se tromper et bien faire les choses, il marche sur des œufs, mais je me dis aussi qu’à un moment donné, il va falloir faire le pas. C’est un grand pas, qui a le soutien de la population et du politique.
Personnellement, je suis souvent interpellée par le public, des gens qui me racontent ce que leurs proches vivent. Alzheimer, c’est un grand fléau de notre époque, on est nombreux à ne pas vouloir vivre avec ça. On est nombreux à attendre.
Pourquoi avoir choisi de militer?
J’ai toujours aimé l’actualité et la politique mais je me suis impliquée un peu par hasard.
Quand j’ai eu mon diagnostic à 39 ans, en 2019, je me suis sentie seule, je ne connaissais personne qui pouvait me partager son témoignage sur l’Alzheimer précoce. La maladie a eu un grand impact sur ma vie, ma famille, mon travail… J’ai cherché des réponses. Au même moment, la Fédération des Sociétés québécoises d’Alzheimer cherchait un porte-parole, et moi j’avais plus de temps pour m’investir.
Puis, j’ai eu l’occasion de faire des entrevues, en particulier avec Bruno Savard et Patrick Lagacé : ils m’ont tous les deux demandé comment j’envisageais la suite, et je leur ai répondu que je ne voulais pas vivre avec l’Alzheimer, que je préfèrerais une fin de vie, mais que ça n’existait pas encore au Québec. Je leur ai aussi dit que j’avais le choix entre aller en Europe ou m’organiser toute seule, mais que ça n’était pas souhaitable, ni pour moi, ni pour mes proches. Ce sujet a pris beaucoup de place dans les débats, et c’est comme ça que j’ai commencé à militer sur la fin de vie et que je me suis rapprochée de l’AQDMD.
Parler de la mort, ce n’est pas toujours populaire. Mais avec l’AQDMD, on parle de la mort positivement, on donne du pouvoir aux gens sur leur propre fin de vie. C’est une belle mission, qui mérite d’être connue auprès des gens comme moi qui sont condamnés et qui n’ont aucune chance que ça aille mieux. Militer aux côtés de l’AQDMD, ça donne un sens à ma vie.
J’en ai voulu à la vie de devoir passer par là, et pourtant ça m’amène du positif quand même. Je suis amenée à faire de belles rencontres, à créer des liens. Au début je ne le voyais pas, mais maintenant, je réalise que je peux en faire quelque chose de positif. C’est facile de déprimer quand tu es très malade, tu es seul, tu es limité… mais créer du beau grâce à mon engagement, c’est ma façon de passer au travers.
Moi aussi j’aurais aimé pouvoir avoir quelqu’un à qui parler. Apporter mon témoignage sur l’Alzheimer précoce, c’est ouvrir le dialogue, aider des personnes dans une situation similaire. Ça fait une différence pour moi et ça fait une différence pour les autres gens aussi. Je joins l’utile au désagréable.
Et maintenant, quelle est la suite pour vous ?
Sur le plan politique, je veux continuer à m’impliquer avec l’AQDMD. Petit à petit, je vais perdre en autonomie et avoir besoin de plus en plus d’aide, mais je ne compte pas m’effacer complètement. Quand la maladie va être plus sévère, j’aurai encore des choses à dire, ça fait partie de la vie. Tant que je me sens à l’aise, je serai contente d’être active et de faire ma part pour le droit de mourir dans la dignité.
Sur le plan personnel, je continue d’être dans un cheminement, notamment face à la mort. Pour l’instant, je suis encore dans l’action de travailler à faire avancer les choses, mais comme beaucoup d’autres personnes, j’ai peur de la mort et de l’« après la mort ». Je n’en suis pas encore là, mais je me pose beaucoup de questions, c’est une réflexion de fin de vie. Il faut que j’apprenne à me sentir en paix.
Sandra, témoignage d’une patiente touchée par Alzheimer précoce
Accompagnée de sa fille Daphnée, proche aidante, Sandra s’est ouverte en entrevue pour l’AQDMD sur l’importance d’avoir le choix de pouvoir recevoir un soin tel que l’aide médicale à mourir.
Nb : cette vidéo a été tournée en 2022, avant le vote du projet de loi.
Vous aussi, vous souhaitez vous impliquer pour faire progresser le droit de mourir dans la dignité? Votre soutien est précieux : faites un don dès maintenant ou devenez adhérent.
Sources :
Loi modifiant la Loi concernant les soins de fin de vie et d’autres dispositions législatives.
Entrevue avec Sandra Demontigny, @Je vis avec l’alzheimer précoce